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Abstract
Les Nahua de la Mésoamérique préhispanique ont produit une littérature orale extrêmement riche, que l'on peut retracer à travers des compilations effectuées pendant la colonie espagnole (16ème–17ème siècles). Plusieurs de ces documents, qui doivent tous faire l'objet d'une analyse critique, offrent la particularité d'avoir été écrits en langue autochtone, par des Indiens nahua et des métis. Cette thèse propose, à partir de l'étude de ces documents et des quelques codex préhispaniques existants, une lecture de la représentation du genre chez les Nahua. Plus précisément, il s'agit ici d'identifier une variabilité discursive au sein de cette littérature orale, en général considérée comme un tout, et de tâcher de comprendre en quoi cette variabilité est liée à la présence de groupes émetteurs distincts, eux-mêmes façonnés par le genre.
Cette problématique demandait une approche particulière et nous nous sommes inspirée, pour la construire, des acquis de plusieurs modèles conceptuels et méthodologiques qui seront tout d'abord discutés. Le style littéraire a été retenu comme premier facteur de découpage, permettant d'obtenir ainsi trois ensembles formés par les mythes, les sortilèges et les poèmes chantés. Ces ensembles forment le moyen d'expression privilégié respectif de trois groupes diversement constitués: les autorités civico-religieuses, les spécialistes des pratiques magiques, et les poètes. Puis nous avons identifié, au sein de ces groupes, des sous-groupes composés en tout ou majoritairement d'individus de même sexe. C'est alors que nous avons pu repérer cinq discours, qui exploitent de façon distincte les modalités de la représentation symbolique du genre: une version hégémonique, une autre franchement contre-hégémonique, et trois discours qui, chacun à leur façon, réarticulent certaines composantes de la version hégémonique.
La méthode structuraliste et celle dite grounded theory , formulée par le courant de pensée de l'École de Chicago connu sous le nom d'interactionnisme symbolique, ont soutenu l'analyse de la représentation symbolique du genre. Les résultats obtenus permettent de penser que deux couples divins viennent symboliser l'ensemble des relations entre les sexes: l'un, composé de Cihuacoatl et Mixoatl, régit le mariage, alors que Xochiquetzal et Tezcatlipoca, pour leur part, entretiennent une relation fautive. Les deux couples se fragmentent en de nombreuses entités qui, au fil de leurs métamorphoses, incarnent les différentes phases, orientées selon les directions de l'univers, des cycles journalier et annuel du soleil, de la planète Vénus et des étoiles. Ces phases sont autant d'aspects, non pas du féminin et du masculin, mais des relations qui unissent ces deux pôles: réjouissances pré-nuptiales, ordre du mariage, chaos de l'adultère et séduction illicite. Les cinq discours identifiés exploitent ces relations divines; mais celles-ci, réinterprétées en un jeu d'accentuations, de gommages ou d'inversions, viennent exemplifier les valeurs distinctes que véhiculent les groupes émetteurs.
Enfin, il est proposé que ces variations discursives pourraient se comprendre en fonction de deux paramètres principaux: le prestige et l'autonomie du groupe émetteur, par rapport aux autres utilisateurs du même style et par rapport aux autorités civico-religieuses. Ainsi, cette thèse voudrait montrer l'importance, dans une société plurielle et hiérarchisée comme celle des Nahua, de prendre en compte l'existence de représentations symboliques du genre autres que celle de la version hégémonique, ainsi que la présence de paroles féminines distinctives.